Je suis attendu. Mon trousseau de clé triple vite de volume.
J'habite désormais un studio spacieux dans un grand complexe de résidences universitaires à deux pas de mon laboratoire d'accueil. Les bâtiments ont à peine un an et la route n'est pas encore achevée. Ici aussi, le terrain a été conquis sur l'eau. Une digue ferme le paysage. J'habiterai et travaillerai quelques mètres dessous le niveau des eaux. Jour et nuit, on draine et on pompe l'eau qui sans quoi inonderait le polder. Les appartements, ici comme dans le reste du quartier, sont de grands pavés empilés les uns sur les autres. Pour une chambre universitaire, je suis surpris de l'attention qu'on y a porté : La télévision fait partie des meubles et internet fonctionne dès mon arrivée. Des fournitures de lit - jetables - et un caisson de casseroles, vaisselle et ustensiles (jetables à la fin du séjour également) sont fournis. Précision toute hollandaise, la liste des fournitures m'est dûment stipulée dans un courrier. Que surtout je me manifeste s'il manque quelque chose à mon dû. Du reste, puisque l'on m'a assorti d'une casserole de deux centimètres de trop par rapport à l'inventaire, je ne me plaindrais pas du défaut de produit vaisselle.
Les Hollandais sont grands et pourtant habitent de petites maisons. Ils ont partout de grandes fenêtres et, le soir venu, préfèrent s'éclairer à la bougie. Ni rideau tiré, ni volet baissé. Personne ne semble prendre ombrage de ce que sa petite vie de famille soit offerte en spectacle à la rue. "En terre de la Reforme, a-t-on quelque chose à se cacher ?" m'explique-t-on. Les décors rivalisent de beauté, les intérieurs paraissent plus douillets les uns que les autres, les tables sont parées et dressés, les plats fument, les petites lumières jouent de leurs reflets dans les miroirs. Le voyeur, subjugué par toutes ces jolies maisons de poupées, en oublie son impudence.
Mon appartement, terminé par une grande baie vitrée vers la rue, s'expose tout autant aux regards sans pour autant se mesurer aux foyers des autochtones. Il est urgent que je me trouve des rideaux, mais pour ce soir rien ne presse : un court-circuit dans une ampoule que je viens d'allumer me prive pour la nuit d'électricité. A la lueur de mon ordinateur, je gagne mon lit.