vendredi 30 janvier 2009

Souffrir tant qu'on le peut

Un collègue de travail attire notre attention au déjeuner avec véhémence sur le fait que le pays qui a légalisé l'euthanasie parmi les premiers n'est pas à une contradiction près dans ses doctrines médicales. Alors qu'on achève les patients presque morts, on traine encore les pieds lorsqu'il s'agit d'injecter un sédatif chez le dentiste ou lors de l'accouchement. Ainsi jusqu'à peu - il semblerait tout de même que les docteurs faiblissent - on souffrait dans le fauteuil de son chirurgien ou le lit de son accoucheur en bon luthérien.

lundi 26 janvier 2009

Qu'est ce qu'on fait quand on s'ennuie à la télé ?

Le principe de l'interview que je regarde d'un coin de l'oeil sur le canal Nederland 3 ce soir, c'est d'enfermer vingt quatre heures durant le présentateur de l'émission avec son invité dans un studio tout équipé - cuisine comprise - et de filmer ce qu'il advient. L'invité du jour est le champion de natation Maarten van der Weijden. Les révélations sont fracassantes : je dresse l'oreille quand j'entends (en néerlandais, je précise, ma compréhension s'améliore de jour en jour) qu'on parle de triplets pythagoriciens et que la conversation dérive sur l'impossibilité de trouver deux cubes dont la somme forme encore un cube. Dieu merci pour l'édification du public de ce prime time hollandais, le présentateur, qui mène la colle improvisée, sait qu'il s'agit du fameux grand théorème de Fermat et, pour le peu que j'en comprends, semble capable d'en raconter l'histoire. Fermat servi en digestif cathodique un soir de semaine à la ménagère de moins de cinquante ans, wat een vriendelijk land, non ?

dimanche 25 janvier 2009

A vélo

J'ai toujours autant de mal à le croire, mais il ne faut décidément pas pédaler longtemps pour quitter la ville. Déjà presque devant ma porte barbottent hérons, cygnes et canards sauvages (non, non, mon esprit ne vous rejoue pas une variation d'Ibsen). Une digue de plusieurs kilomètres surmontée d'une route cycliste fend les flots et protège notre polder ; il est très agréable de l'emprunter et je ne suis pas le seul à en profiter ce dimanche. En quelques coups de pédales me voilà au vert. Pas d'inquiétude, les pistes sont aussi bien balisées qu'un sentier dans les Vosges. De ravissants villages de cartes postales ont été bâtis le long de l'eau, si près de la ville ! Opportunément, des ferries circulent en ronde pour franchir l'eau qui me sépare désormais du centre ville, car imperceptiblement, je suis passé sur l'autre rive.

samedi 24 janvier 2009

Au marché d'Albert Cuyp

La force publique veille à la sûreté dans cette bonne ville d'Amsterdam. Le seul agent commis ce matin au maintien de l'ordre sur le marché d'Albert Cuyp - le plus célèbre des marchés de la ville - examine et scrute avec plus d'attention les dessous d'un étal de lingerie fine qu'il ne prête attention aux vide-goussets ou à la régularité des transactions. Madame sera-t-elle gâtée ce soir ? Rien ne permet de le dire pour le moment.

mardi 20 janvier 2009

Un sou est un sou

S'ils comptent encore jusqu'au centime, les Néerlandais ont parait-il décidé de se passer des pièces de deux ou un centime. Un comble pour ce peuple où un sou est un sou. Ainsi à la maison Rembrandt, la caissière, à l'affut du premier français qui tomberait dans son embuscade, s'est empressée de se défaire des quelques liards qui n'ont plus cours ici et me rendit la monnaie en pièces de un et deux centimes qu'elle tenait prêt sur un coin du bureau. Non moins satisfaite qu'un pêcheur savourant sa prise à l'issue une longue guette, elle m'expliqua d'un français hésitant mais avec le sourire au coin des lèvres qu'elle savait que chez ces arriérés de Français, on les utilisait encore. Toutefois, dès ce soir j'organise la résistance. J'ai déjà écoulé subrepticement une première pièce de deux centimes au Albert Heijn du coin et ne compte pas m'arrêter à ce premier méfait. Pour soutenir ma cause, envoyez vos munitions et vos dons à l'adresse habituelle ; comme j'entre dans la clandestinité, aucun reçu fiscal ne pourra être délivré !

samedi 17 janvier 2009

Ik ben nu Nederlands

A la librairie américaine d'Amsterdam, on ne vend que des titres dans la langue de Stephen King. Les caissières s'adressent à tous les clients en anglais sauf à moi ! Il leur faut bien deux minutes pour leur faire comprendre que je ne parle pas 'Dutch'.

vendredi 16 janvier 2009

"O baby, baby, it's a wild world"

Le polder que j'habite se trouve au chevet de deux quartiers que rien n'aurait dû se faire rencontrer : d'un côté, derrière la ligne de chemin de fer, une banlieue proprette et presque pavillonnaire, des maisons en bandes et des arbres taillés au cordeau, de l'autre, au delà de la digue et du canal, un quartier d'immeubles hauts, sale et populaire, au nom de rues ou de places des anciennes colonies et comptoirs de la VOC et habité tant bien que mal par les vagues de migrants qu'a connu le pays. Rien que du connu pour un Français ; tristesse de savoir qu'on a copié ici nos erreurs ! La question de l'immigration et de l'intégration mélangée de surcroit aux fanatismes religieux est on ne peut brulante et explosive ici (elle est par exemple régulièrement analysée avec plus d'expertise que la mienne sur ce blog francophone d'un élu de la ville). D'ailleurs, la fameuse sculpture poil-à-gratter et controversée que la République Tchèque vient d'offrir à l'Union Européenne ne souligne pas mieux les crispations et les craintes du pays : elle représente des Pays-Bas engloutis par les eaux dont ne dépasseraient que deux minarets.

Toujours est-il que ce soir, nous sommes deux blancs à boire une bière au comptoir d'un bar où l'on a pas dû en voir depuis longemps. C'est le bar le plus proche de notre résidence, mais il se trouve de l'autre côté du pont. Un groupe joue quelques morceaux, trop forts, de musique afro-antillaise dans l'indifférence du cercle qui fréquente ce lieu, des hommes seuls et inexpressifs pour la plupart venus chercher un peu d'oubli et de chaleur. Le discours de Martin Luther King 'J'ai fait un rêve', les photos des leaders de la cause noire américaine ou les posters 'Yes we can' appendus aux murs en disent plus long sur leurs espoirs profonds et ensevelis que les regards éteints des habitués de ce point de ralliement. Un match de foot passe à la télé ; le bar ne s'anime fugacement que lorsque un but est marqué. 'Chérie, que ce monde est sauvage', entonne le chanteur lorsque nous repartons lieu.

mercredi 14 janvier 2009

L'accent hollandais

On critique souvent les Français pour leur horrible accent quand ils parlent en anglais et je ne suis pas le dernier à avoir assisté à des exposés en anglais où il valait mieux parler français pour pénétrer l'expression de l'orateur. Toutefois quand un Hollandais s'emballe au tableau, je ne suis pas sûr qu'il reste grand monde dans la salle non plus pour comprendre ce qu'il veut dire.
Pour vous donner une idée de ce que j'ai entendu ces jours-ci, rendez-vous sur la vidéo édifiante postée sur un blog bien documenté sur les collusions létales entre anglais et néerlandais.

lundi 12 janvier 2009

La fièvre du patin

Un grande fièvre s'est emparée du pays. Il fait si froid que partout les lacs et canaux ont gelé. Il reste à peine un coin d'eau liquide contre la digue près de chez moi où les nombreux canards et les oies sauvages qui y vivent peuvent barboter. Dans les parcs, les promeneurs ont déserté les allées et se massent en foule sur les eaux pour braver la glace des étangs, frissonner à l'entendre craquer sous ses pieds et s'adonner à de joyeuses parties de glissade. Les luges sont sorties, les patins aussi. Partout où la glace le permet, on s'amuse. Ce dimanche, on patinait même sur le Keizersgracht en plein centre de la ville. Les tenues de skis sont sorties ; les marchands de patins sont débordés, 75 000 patins soit la totalité du stock aurait été vendue ce week-end lit-on ici où là. A table ce midi une seule question occupe étrangers amusés de cette hystérie comme autochtones : le froid durera-t-il encore assez longtemps pour organiser enfin la prochaine Elfstedentocht, cette fameuse course sur 200km entre onze villes des Pays Bas, qui n'a pu se disputer qu'une quinzaine d'année depuis 1900. Voilà douze ans qu'on l'attend. Mais rien n'est moins sur ! Depuis ce matin, le redoux a fait son apparition et ce soir la glace semblait lâcher prise dans les fossés.

Plus d'infos sur un blog anglophone très bien tenu : ici et .

dimanche 11 janvier 2009

Une première ballade

La découverte méthodique d'une ville aussi riche qu'Amsterdam ne peut commencer que par une initiation à son histoire. Cela tombe bien, le musée historique fait partie des lieux de visite incontournables. Parmi les points que je retiens en voici quelques uns, qui illustrent ce que l'on sait de l'âge d'or toute civilisation. Une société prospère est une société qui n'a pas peur de la science et a même l'audace de mettre en peinture les fameuses leçons d'anatomie ou dissections du corps humain, si scandaleuses pour l'époque. On en voit plusieurs dans ce musée, notamment celle du Dr Deyman peinte par Rembrandt. Une société prospère est aussi une société qui impose sa norme et qui est terriblement autoritaire : hier à Amsterdam, les pauvres attrapés en train de mendier étaient envoyés avec les délinquants dans des maisons de correction, la rasphuis par exemple, où on les "réinsérait" par le travail forcé.

samedi 10 janvier 2009

Des courses en ville

Il fait froid et beau ce samedi à Amsterdam. Le tramway nous promène à travers des quartiers dont je ne soupçonnais pas l'existence. Les encadrements et pignons se détachent par leur blancheur des briques rouges des maisons. Nous commençons par traverser le Noordermarkt. Les antiquités orientales, de la poterie imari aux statuettes de personnages chinois en passant par des sabres aux formes étranges, trahissent le passé de la ville et rappellent les splendeurs perdues de Batavia. En passant entre les étals, je ne peux m'empêcher de penser au comptoir que les Hollandais avaient eu le droit d'installer à Nagasaki, unique point d'accès pendant plus d'un siècle du Japon au reste du monde. La soupe à l'oignon dont on se réchauffe ce midi est appelée française, mais il lui manque le fromage gratiné pardessus la tasse pour rivaliser avec les nôtres.

Je complète enfin mon équipement de rideaux (soulagement ! et effectivement ce ne sont pas les premiers que j'aurais achetés dans ma vie) et d'un fer à repasser (ne rigolez pas). Encore quelques assiettes et je pourrais même recevoir.

vendredi 9 janvier 2009

Dîner en ville

Le Jordaan est l'un des quartiers les plus charmants d'Amsterdam. C'est ici que nous dînons avec un invité de passage au laboratoire. Dieu soit loué, il est possible de bien manger dans cette ville. La cuisine, d'inspiration certes française, est mieux maitrisée que ce que j'imaginais possible dans ce pays. Il faut dire que nos hôtes savent distinguer les adresses pour amstellodamois des adresses pour touristes. Par chance, la serveuse sait même nous indiquer le noms des poissons en français.
La conversation m'apprend ce soir que le pays n'est pas dépourvu de ses fanatiques chrétiens. Ceux-ci se concentrent en particulier le long de la ceinture biblique néerlandaise (Bible belt). Ils vivent avec rigorisme entourés d'innombrables églises qui se déchirent entre elles pour savoir à qui interprète le mieux la Bible. Le dernier débat serait, me rapporte-t-on, de savoir si les filles peuvent aller en pantalon jusqu'à l'école, la jupe étant de toute façon de rigueur dans l'école. Plus malheureusement, ces communautés refusent les progrès de la médecine, vaccins ou transfusions de sang étant bannis.

jeudi 8 janvier 2009

Retrouvailles

Ce soir je retrouve une connaissance de voyages et de conférences scientifiques. Il est doctorant. Je l'ai rencontré à Tel Aviv cet été. Il est russe, je suis français ; une fois n'est pas coutume, l'allemand est le truchement le plus juste entre deux pour nous comprendre. Nous buvons un verre dans le centre. La bière brassée ici nous égaye.
Un froid humide et perçant s'est emparé de la ville. Peu de gens s'aventurent dehors ce soir : quelques touristes transis par les rudesses de l'hiver, la jeunesse européenne en quête de débauche et de nausée. Le train qui nous ramène chez nous n'a rien à envier au RER des parisiens.

mardi 6 janvier 2009

Premières courses au supermarché

Une note rapide à mon fan club qui doit déjà se demander : mais comment fonctionnent les balances à fruits dans les supermarchés de ce nouveau pays ? Le petit Bebs va-t-il réussir à les faire fonctionner ?
Eh bien, il m'a fallu bien cinq minutes - et un fou rire en pensant à vous - pour comprendre qu'ici, après avoir sélectionner son produit, on confirme son choix pour déclencher l'impression de l'étiquette.

Sinon, rien à signaler de plus sur les supermarchés, si ce n'est que : ils s'appellent tous Albert Heijn (ce n'est pas vraiment leur faire de la pub que de le dire), on en trouve partout et ils vendent même des téléphones, ce qui est bien pratique.

PS : j'ai donc désormais un numéro de téléphone hollandais.

lundi 5 janvier 2009

L'installation

Je suis attendu. Mon trousseau de clé triple vite de volume.

J'habite désormais un studio spacieux dans un grand complexe de résidences universitaires à deux pas de mon laboratoire d'accueil. Les bâtiments ont à peine un an et la route n'est pas encore achevée. Ici aussi, le terrain a été conquis sur l'eau. Une digue ferme le paysage. J'habiterai et travaillerai quelques mètres dessous le niveau des eaux. Jour et nuit, on draine et on pompe l'eau qui sans quoi inonderait le polder. Les appartements, ici comme dans le reste du quartier, sont de grands pavés empilés les uns sur les autres. Pour une chambre universitaire, je suis surpris de l'attention qu'on y a porté : La télévision fait partie des meubles et internet fonctionne dès mon arrivée. Des fournitures de lit - jetables - et un caisson de casseroles, vaisselle et ustensiles (jetables à la fin du séjour également) sont fournis. Précision toute hollandaise, la liste des fournitures m'est dûment stipulée dans un courrier. Que surtout je me manifeste s'il manque quelque chose à mon dû. Du reste, puisque l'on m'a assorti d'une casserole de deux centimètres de trop par rapport à l'inventaire, je ne me plaindrais pas du défaut de produit vaisselle.

Les Hollandais sont grands et pourtant habitent de petites maisons. Ils ont partout de grandes fenêtres et, le soir venu, préfèrent s'éclairer à la bougie. Ni rideau tiré, ni volet baissé. Personne ne semble prendre ombrage de ce que sa petite vie de famille soit offerte en spectacle à la rue. "En terre de la Reforme, a-t-on quelque chose à se cacher ?" m'explique-t-on. Les décors rivalisent de beauté, les intérieurs paraissent plus douillets les uns que les autres, les tables sont parées et dressés, les plats fument, les petites lumières jouent de leurs reflets dans les miroirs. Le voyeur, subjugué par toutes ces jolies maisons de poupées, en oublie son impudence.

Mon appartement, terminé par une grande baie vitrée vers la rue, s'expose tout autant aux regards sans pour autant se mesurer aux foyers des autochtones. Il est urgent que je me trouve des rideaux, mais pour ce soir rien ne presse : un court-circuit dans une ampoule que je viens d'allumer me prive pour la nuit d'électricité. A la lueur de mon ordinateur, je gagne mon lit.

La traversée d'Allemagne

Au fur et à mesure qu'avancent les trains qui m'emmènent à Amsterdam, la neige déploie son manteau de coton et enveloppe le paysage. A Francfort, la halle de verre qui abrite la gare s'est emmitouflée sous une épaisse couche duveteuse ; je parcours rapidement les galeries pour tuer le temps avant le départ du prochain train, rêvant un instant devant les destinations lointaines annoncées dans l'aéroport. A Duisbourg, trente centimètres de neige encombrent les quais ; le train accumule du retard tandis que le soleil irradie à nouveau le paysage. A Arnhem, le train s'arrête : nous sommes transférés dans la cohue à bord d'un nouveau train. A défaut d'être ponctuel, l'ICE est confortable. Les messages sont mêmes affichés en français. Le chef de bord, avec son délicieux accent hollandais, nous inonde de ses paroles glissantes comme le sont les mots qu'ils prononcent quand ils ne kreukreutent pas. Il ne fait que provoquer l'hilarité des passagers, ne cessant d'annoncer ordres et contre-ordres. Comme un bateau à la dérive, notre destination change à chaque instant et des escales supplémentaires s'ajoutent ou se retirent au gré des annonces. Pour s'excuser du retard, la compagnie nous offre une heure de café gratuite ; passés les soixante minutes le café sera de nouveau payant, je répète, de nouveau payant, nous explique avec insistance de chef de train. La campagne est belle à présent, chaque ligne du paysage est soulignée d'un trait de givre ou de glace.

Il fait beau et froid à Amsterdam. J'arrive à mon institut d'accueil.